5 Méditations basées sur la Beauté, François CHENG, 2006

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5 Méditations

basées sur la beauté :

François CHENG, POCHE, 2006

PREMIÈRE MÉDITATION :

« La Beauté sauvera le monde. » Dostoïevski (« L’idiot »)

La beauté comme rédemption. Le mal, la beauté, ce sont les 2 défis que nous devons relever. µ

  • A l’opposé du mal, la beauté se situe à l’autre bout d’une réalité à laquelle, nous avons à faire face. Les extrémités de l’univers vivant, c’est-à-dire, le réel : d’un côté le mal, de l’autre, la beauté.
  • Seule une posture d’accueil, « être le ravin du monde »(selon Laozi), et non de conquête, nous permettra de recueillir, de la vie ouverte, la part du vrai. L’unicité de l’instant est liée à notre condition de mortels, elle nous la rappelle sans cesse.
  • La beauté est éphémère, elle a partie liée à l’unicité de l’instant. Une vraie beauté ne saurait être un état figé perpétuellement dans sa fixité. Son mode d’être est dans l’instant, unique.

SECONDE MÉDITATION :

La beauté est un advenir, la dimension de l’âme lui est vitale, elle est régie par le principe de vie. La vraie beauté est celle qui va dans le sens de la vie ouverte, un principe de vie qui maintient ouverte toutes ses promesses. Elle ne peut pas être un outil de tromperie, ou de domination.

téléchargement« La rose est sans pourquoi

Fleurit parce qu’elle fleurit

Sans soucis d’elle-même,

Ni désir d’être vue. »

(Silesius, XVIIème siècle)

Le mot « sens» condense en lui trois états essentiels de l’Etre :

Sensation-Direction-Signification. Le caractère chinois, équivalent et plus riche, est le caractère Yi.

  •  L’idéogramme YI désigne ce qui vient de la profondeur d’un être, l’élan, le désir, l’intention, l‘inclination. En se combinant à d’autres caractères, on peut le classer en deux catégories : ceux qui relèvent de l’esprit : idées, conscience, dessein, volonté, orientation, signification, et ceux qui appartiennent à l’âme : charme, saveur, désir, sentiment, aspiration, élan du cœur. Aux yeux d’un chinois, la beauté d’une chose réside dans son Yi, , cette essence invisible qui la meut. .
  • Le YI est sa saveur infinie, qui n’en finit pas de susciter parfum et résonance. Pour que la vie soit vie qui implique croissance et renouvellement, la mort doit être un constituant inévitable, nécessaire.
  • C‘est la perspective de la mort qui rend chaque instant et tous les instants uniques. La mort contribue à l’unicité de la vie.

« Mourir, sans périr,

C’est la longue vie. »

(Laozi)

Mourir : c’est-à-dire réintégrer la Voie, La longue vie : l’éternité, somme d’instants saillants où la vie jaillit. Cette éternité a la même substance que notre durée humaine. N’est-elle pas faite d’instants saillants, où la vie s’élance vers l’Ouvert ?

  • En ce cas, nous faisons déjà partie de l’éternité, nous sommes dans l’éternité. La notion de temps évoque un écoulement mécanique, une suite implacable de pertes et d’oublis. Celle de durée fait allusion à une continuité qualitative dans laquelle les choses vécues et rêvées forment un présent organique.
  • En conscience, nostalgie et espérance confondues, chaque expérience de Beauté rappelle un paradis perdu et appelle un paradis promis. La Beauté attire la Beauté : une expérience de Beauté rappelle d’autres expériences de Beauté précédemment vécues, et dans le même temps, appelle aussi d’autres expériences de Beauté à venir.
  • Plus l’expérience de Beauté est intense, plus le caractère poignant de sa brièveté engendre e désir de renouveler l’expérience sous forme forcément autre, puisque toute expérience est unique.

Chaque expérience de Beauté nous restitue chaque fois la fraîcheur du matin du monde.
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TROISIÈME MÉDITATION :

Les Chinois, adorateurs de la nature, affectionnent les métaphores.

  • Pour les poètes chinois, depuis 3 000 ans, la femme apparaît comme un miracle de la Nature, en elle se concentrent tous les beaux éléments de la Nature. Beaucoup de métaphores peuvent s’appliquer à son corps.
  • Il en va de même avec l’art grecque, romain, c’est à la Renaissance que l’art occidental explose de son désir de montrer la femme en son éclat charnel. La vraie Beauté est conscience de la Beauté et élan vers la Beauté, elle suscite l’amour et enrichit notre conception de l’amour.
  • L’âme est la « basse continue » de chacun, musique rythmique, presque à l’unisson du cœur, que chacun porte en soi depuis sa naissance. Elle se situe à un niveau plus intime, plus profond que la conscience. Parfois en sourdine, étouffée, jamais interrompue, à certains moments d’émotion, ou d’éveil, elle se fait entendre, elle résonne, c’est sa manière d’être.
  • Résonner en soi, résonner à la basse continue d’un autre, résonner à la basse continue de l’univers vivant, c’est sa chance d’être immortelle.

« Chanter, c’est être »

(Rilke)téléchargement (1)

« La beauté de la femme est un don du Ciel »

Pensée chinoise qui relie la femme et la Beauté et le Ciel. La bonté est garante de la qualité de la Beauté.

« La Beauté irradie la bonté et la rend désirable. Je ne connais en aucun homme d’autre signe de supériorité que la BONTÉ. Là où je la trouve, là est mon foyer. » (Beethoven)

QUATRIÈME MÉDITATION :

La cosmologie chinoise est fondée sur l’idée du Souffle,pissenlit matière et esprit. Le Souffle primordial unité originelle, anime tous les êtres, les reliant dans un réseau d’entrecroisement et d’engendrement, le Tao, la Voie. Au sein de la Voie, la nature du Souffle est ternaire, il y a trois types de Souffle qui agissent concomitamment : le Souffle Yin, le Souffle Yang, et le Souffle du Vide Médian. le-souffle

Entre le Yang, puissance active et le Souffle Yin, douceur réceptive, wuji-300x293le Souffle du vide Médian -qui tire pouvoir du Vide originel- a le don de les entraîner dans l’interaction positive, en vue d’une transformation mutuelle, bénéfique pour l’une et pour l’autre. Le Vide prend un sens positif, car il est lié au Souffle ; le Vide est le lieu où circule et se régénère le Souffle. Cette vision Taoïste est en correspondance avec la vision Confucéenne, elle aussi ternaire :Logo_TerreHommeCiel_compress Ciel-Terre-Homme, affirmant le rôle spirituel de l’homme au sein du Cosmos.

Trois conséquences :

1) Le mouvement de la Vie est perçu à chaque instant comme un avènement ou « un rebondissement », plutôt que comme une plate répétition du même. Mouvement de vie entre le « WU » (il n’y a pas) et le « You » (il y a), permanent et mutuel jaillissement, à l’image du Tai ji quan.

2) Le mouvement de Vie est dans une interaction généralisée : chaque vie est reliée aux autres vies, le microcosme est lié au macrocosme, dont la marche est le TAO.

3) Au sein de la marche du TAO, l’interaction a pour effet la transformation : dans l’interaction du Yin et du Yang, le Vide Médian, drainant la meilleure part des deux, les entraîne dans la transformation mutuelle, bénéfique pour les deux. Le Vide Médian agit dans le temps : images (1)le fleuve est l’image du temps qui s’écoule, sans retour.

La pensée chinoise perçoit l’eau du fleuve, tout en coulant, s’évapore, monte dans le ciel, pour devenir nuage, retombe en pluie pour alimenter le fleuve à sa source.

Ce mouvement circulaire mû par le Vide Médian, est bien celui du renouvellement.

Ces trois points s’appliquent à la Beauté :

1) La Beauté est toujours un advenir, un avènement, un « apparaître là ».

2) La Beauté implique un entrecroisement, une interaction entre les éléments qui constituent une Beauté, entre la Beauté présente et le regard qui la capte.

3) De cette rencontre, si elle est en profondeur, naît quelque chose d’autre, une révélation, une transfiguration.

Le fonctionnement de la Beauté est ternaire, lui aussi. Si la Beauté n’est pas captée par un regard, la Beauté ne se sait pas, elle est en pure perte, elle ne prend pas son plein sens : quand l’univers tend vers l’état de Beauté, il offre une chance ou ravive une promesse de jouissance. sourire-d-enfant

  • Ce regard du sujet, qui capte dans l’instant la scène de Beauté, entraîne une nouvelle rencontre, située sur le plan de la mémoire. Dans la mémoire, plus exactement dans sa durée, tout regard présent d’un sujet rejoint les regards passés quand celui-ci a fait la rencontre de la Beauté.
  • La Beauté attire la Beauté, elle l’augmente, et l’élève. De regard en regard, le sujet aspire peut-être à une rencontre suprême, celle qui le relierait au regard initial de l’Univers. Ce qui est regardé, renvoie chez le sujet, à tout ce qui a été regardé par lui dans le passé, ou dans l’imagination, et plus en profondeur, à l’expérience intime qu’il a d’une révélation de soi, étalée dans le temps.
  • La combinaison re-et garder est riche de connotations, cela évoque la reprise ou le renouveau de quelque chose qui a été gardée et qui demande, à chaque nouvelle occasion, a être développé en tant que devenir. Le regard comporte en outre l’idée d’égard : il incite toujours l’être qui regarde à un engagement plus profond, plus intime. Dans l’amour, comme dans la Beauté, tout vrai regard est un regard croisé,1149044_327678947369773_1516614788_n lumière reçue de l’extérieur qui pénètre en soi, devient lumière intérieure, qui voit l’âme de l’autre, et l’âme de soi, dans une vision faite de va et vient, telle une fontaine aux jets croisés…comme en prière, ou en extase.

CINQUIÈME MÉDITATION :

  • Pour le philosophe, « La Beauté est l’objet d’une satisfaction désintéressée, on ne peut pas prouver la Beauté, seulement l’éprouver. » (Kant)
  • Pour les Chinois, c’est l’inverse. « La Beauté est l’objet d’une satisfaction désintéressée, mais ayant une finalité : donner à vivre. » Nombre de tableaux sont là pour être regardés, mais les meilleurs d’entre eux sont ceux qui offrent l’espace médiumnique, pour qu’on puisse y séjourner indéfiniment. » (Guo Xi, peintre XIème siècle)

unnamed Le Vide Médian chez les Taoïste et le « Milieu juste » chez les Confucéens, montre que la pensée chinoise tente de dépasser le dualisme Occidental.

  • La Beauté est de nature ternaire : la rencontre de deux êtres avec l’univers vivant, La Beauté est un trois qui jaillit du deux, en interaction, permet au deux de se dépasser.
  • Dans ce dépassement, il y a transcendance.