CINQ MEDITATIONS SUR LA MORT, AUTREMENT DIT SUR LA VIE, François CHENG, Albin Michel, 2013

Cinq Méditations sur la Mort,

autrement dit sur la Vie

François CHENG, Albin Michel, 2013

PREMIERE MEDITATION :

Je fais partie de ceux qui se situent résolument dans l’ordre de la Vie. Je suis venu de ce que jadis on appelait le « tiers monde ». Les déshérités que nous étions avions quelque motif à vouer un infini amour à la vie : car de l’existence nous avions bu toute l’eau amère ; nous en avions goûté aussi, de temps à autre, les saveurs inouïes. Nous disions oui à l’ordre de la vie. C’est là rejoindre, en quelque sorte, l’intuition du Tao

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http://img.over-blog.com/La Voie, cette gigantesque marche orientée de l’univers vivant, nous montre qu’un Souffle de vie,

 

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à partir du Rien, a fait advenir le Tout. Comme le matérialiste pour lequel « il n’y a rien », nous aussi parlons du Rien, mais ce Rien signifie le Tout :

« Ce qui est

provient de ce qui n’est pas,

et ce qui n’est pas,

contient ce qui est. »

  •  La mort nous fait toucher du doigt l’incroyable processus qui fait basculer le Tout dans le Rien ; elle nous donne à concevoir l’état du Non-Etre.
  • C’est notre conscience de la mort qui nous fait voir la vie comme un bien absolu, et l’avènement de la vie comme une aventure unique, que rien de saurait remplacer. La vie, c’est quelque chose qui advient, qui devient. Une fois advenue, elle entre dans le processus du devenir. Sans devenir, il n’y aurait pas de vie, la vie n’est vie qu’en devenant.
  • Dès lors, nous comprenons l’importance du temps. C’est dans le temps que cela se déroule.  Or le temps, c’est précisément l’existence de la mort qui nous l’a conféré !
  •  VIE-TEMPS-MORT est un tout indissociable.  Trois entités concomitantes et complices qui déterminent tout phénomène vivant. A envisager la vie à partir d’une compréhension approfondie de notre mort, nous jouissons d’une vision plus ouverte, dans la mesure où justement, conformément au processus de l’origine de la vie, nous prenons part à la grande Aventure, et chaque moment de notre vie est alors un élan vers la vie. « Seigneur, donne à chacun sa propre mort… » (Livre de la pauvreté et de la mort, Rilke)
  • Rilke émet l’ardent souhait que la mort de chacun soit une mort qui lui appartienne, parce que née de lui, tel un fruit. Si le fruit tombe au sol, il se retrouve près des racines, fécondant le sol, il participe au pouvoir régénérateur de celle-ci.
  •  Les racines sont à la fois le lieu de la mort et de la naissance. Rejoindre à l’avance sa propre mort, c’est rejoindre la source de la vie, c’est rejoindre plus loin l’origine d’où est partie l’impensable aventure, qui à partir de Rien a fait advenir le Tout.
  • Pour Rilke, c’est le commencement d’un renversement de perspective : au lieu de dévisager la mort à partir de ce côté de la vie, envisager la vie à partir de la mort.
  • La pensée Taoïste compare la Voie à un fleuve.  Celui-ci, avant de se jeter dans la mer, semble suivre un cours irréversible, en pure perte. En réalité, durant son écoulement, une partie de ses eaux s’évapore et monte au ciel. Là, elle se transforme en nuages, pour retomber ensuite en pluie sur les montagnes, qui vont réalimenter le fleuve à sa source.
  • A l’instar de la marche circulaire de la Voie qui n’a de cesse de regagner l’origine pour se ressourcer, Lao-zi invite chacun à effectuer de même en sa propre vie,  le « retour précoce » (Livre de la Voie et de la vertu, chap.16, 28, 33,52, 59)
  • Celui-ci signifie justement le retour aux racines, le retour à l’Origine où se trouve la source de la vraie Durée. Incorporer la mort dans notre vision, c’est recevoir la vie comme un don, d’une générosité sans prix. Etty Hillesum fut gazée par les nazis à Auschwitz, dans son journal intime, elle avait noté :
  • « En disant « j’ai réglé mes comptes avec la vie », je veux dire :  l’éventualité de la mort est intégrée à ma vie, car regarder la mort en face, c’est l’accepter comme partie intégrante de la vie, c’est élargir cette vie.  A l’inverse, sacrifier dès maintenant, à la mort, un morceau de cette vie, par peur de la mort et refus de l’accepter, c’est le meilleur moyen de ne garder qu’un pauvre petit bout de vie mutilé, méritant à peine le nom de vie. Cela semble un paradoxe : en excluant la mort de sa vie, on se prive d’une vie complète, et en l’y accueillant,  on élargit et enrichit sa vie. » Une vie bouleversée, Seuil, 1985)

 

DEUXIEME MEDITATION :

Aucun bonheur n’est indéfiniment répétable, tout bonheur est miracle, la promesse du bonheur constitue le versant clair de la vie. La vie est truffée de miracles, sans compter qu’elle est elle-même une apparition  miraculeuse.

  •  Immense paradoxe donc : la conscience de la mort qui nous taraude est loin d’être une force purement négative, elle nous fait voir la vie non plus comme une simple donnée, mais bien comme un don inouï, sacré. Elle nous insuffle le sens de la valeur, en transformant nos vies en autant d’unités uniques.
  • Nous vient ici à l’esprit l’adage de Malraux :« Une vie ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie. » Unicité de chaque vie, voilà une notion qui nous fait monter d’un cran dans la compréhension de l’aventure humaine. Une force irrésistible nous met dans l’urgence d’aller de l’avant. Et cette force, nous le savons n’est autre que le temps irréversible.
  •  Si je suis unique, c’est que les autres le sont aussi, et plus ils sont uniques plus je le suis moi-même. D’autant que mon unicité ne peut se prouver et s’éprouver qu’à travers la confrontation ou la communion avec celle des autres.
  • Là commence la possibilité de dire « je » et « tu », là commencent le langage et la pensée et cela se vérifie de façon intense dans les liens d’amour. Ainsi, par delà tous les antagonismes inévitables, il existe comme une solidarité foncière qui s’établit entre les vivants, on finit même par comprendre que le bonheur recherché provient toujours d’une rencontre, d’un échange, d’un partage.
  • Ce qui nous importe avant tout, c’est d’être vrais : lorsqu’on est vrai, au moins a-t-on une chance non pas d’avoir la Vérité, mais d’être dans la Vérité. Tout glisse entre nos doigts. Certes, nous ne pouvons rien retenir.
  • Une seule chose, cependant est en notre possession, une chose qui n’est pas rien : l’instant. Cela nous en sommes aussi certains que nous le sommes de notre mort, un jour.
  • A côté de la certitude de la mort, il y a en nous cette certitude d’être les maîtres de l’instant. L’instant s’apparente par sa saveur de plénitude, à ce que doit être l’éternité. Faite d’instants uniques, tels que nous pouvons les connaître en cette vie, rivières de diamants ou chapelet d’étoiles, reliés par la mémoire, constituent une durée qui a déjà goût d’éternité.
  •  L’éternité se trouve dans l’instant, se vit en l’instant, instant de rencontre ou élan vers la vie et la promesse que celle-ci coïncident.
  •  A partir de quoi cet élan de vie pourrait-il naître en nous ? A partir de Rien ! Rappelons que ce Rien ne doit surtout pas être confondu avec le néant. Contenant la promesse du Tout, le Rien désigne le Non Etre.
  • Ce NON ETRE n’est autre que ce par quoi l’ETRE advient. La notion de NON ETRE est nécessaire, car c’est seulement à partir d’elle qu’on peut réellement concevoir l’ETRE. Pour dépeindre l’état originel du Tao, Lao-zi emploie les termes
  • XU (le Vide) ou Wu (le « Rien », ou « il n’y a pas », ou « il n’y est pas »).  Au IVème siècle, Zhuang zi dit
  • « Ce qui engendre toutes choses ne peut être une chose. »,
  • « il est par delà les êtres, invisible et sans forme, le Wu. »
  • Aussi bien le XU que le WU, ont un aspect dynamique, dans la mesure où ils sont liés à la notion du Qi, le « souffle ».

Le TAO d’origine engendre l’UN

L’Un engendre le Deux

Le Deux engendre le Trois

Le Trois engendre les Dix mille êtres

Les Dix mille ëtres d’adossent au YIN

Et embrassent le YANG

Ils obtiennent l’harmonie pas le vide médian.

(Livre de la Voie et des Vertus, chap.42)

Du Tao d’origine, conçu comme le Vide suprême, émane l’Un, qu’est le souffle primordial, lequel engendre à son tour les deux souffles, complémentaires, Yin et Yang, ceux-ci, par leur incessante interaction, engendrent tous les êtres qui parviennent à faire naître entre eux l’harmonie grâce que troisième souffle qu’est le Vide médian.

  • La vertu du Rien, du Vide étant donné, le Vide est la racine de la Voie et la condition de l’harmonie dans la marche vers la Voie, laquelle n’a de cesse d’effectuer ce mouvement qui va du Vide vers le Plein et retourne au Vide, où le Souffle primordial se ressource.
  • La bonne circulation de la Voie qui relie tous les êtres vivants est à ce prix. Etre, ce n’est pas simplement suivre l’écoulement d’une existence, c’est continuellement faire acte d’être, à partir du non-être. Expérimenter, en quelque sorte, une mort-à-soi, à un soi étroit, clos, pour accéder à une vie plus libre, plus ouverte.
  • Dans la tradition judéo-chrétienne, on retrouve aussi une quête du Vide. Mourir à soi, pour mieux être rempli, du souffle primordial ou de la présence de Dieu.
  • La conscience de la mort fait naître en nous des besoins vitaux ou des désirs irrépressibles : désir de réalisation, désir de dépassement, désir de transcendance. L’idée que la vie a un terme, qu’elle ne saurait être différée, nous incite à « nous réaliser », à concevoir un « projet de vie ».
  • Autrement dit à nous projeter dans la vie par une activité créative qui nous conduise à la perspective d’une réalisation. L’homme donne un sens à sa vie, il devient le poète de sa vie.
  • Dans le mot « sens » il faut entendre les trois acceptions qu’il possède en français : « sensation », « direction », « signification ». Contractées en un monosyllabe dense comme une pierre précieuse, ces trois acceptions cristallisent en quelques sortes les trois niveaux essentiels de notre existence au sein de l’univers vivant.
  • L’homme réalise et se réalise pour se signifier ; se signifiant, il donne sens à sa vie, tant il est vrai qu’il ne peut jouir de la vie de façon plus totale que par une jouissance qui soit un joui-sens.
  • En Chine, depuis l’Antiquité, résonne une brève phrase que les Chinois se transmettent de génération en génération, phrase qui tire son origine du »livre des Mutations », le Yi Jing, premier ouvrage de la pensée chinoise, rédigé 1000 ans avant notre ère, auquel se réfère aussi bien le taoïsme que le Confucianisme.
  • Cette formule se compose de quatre caractères percutants comme des coups de cymbales :
  • « La vie engendre la vie, il n’y aura pas de fin. » La pensée chinoise a toujours préféré la démarche ternaire pour expliciter la constitution et le fonctionnement de la vie humaine.Le taoïsme, basé sur l’idée du Souffle, met en avant l’interaction entre le Yin, le Yang, et le Vide médian, tandis que le confucianisme se fonde sur la relation interdépendante du Ciel, de la Terre et de l’Homme.
  • Aussi, d’après la tradition chinoise, tout être humain est composé de trois composantes : le « jing », le sperme, le « qi », le souffle, et le « shen », le « divin ». Sans qu’il y ait une exacte équivalence terme à terme, on peut en gros approcher le « jing » du corps, le « Qi » de l’esprit, le « Shen » de l’âme.
  • Si l’âme est intimement personnelle, l’esprit, lui a un aspect plus général, plus collectif ; c’est lui qui permet le langage et le raisonnement. Le rôle de l’esprit est central : il contribue à former l’ individu et à la situer au cœur du réseau social.
  • L’âme participe de l’essence de chaque être, elle est là, entière, dès avant sa naissance, et elle l’accompagne, toujours entière, jusqu’à son état ultime, même si l’esprit s’altère ou défaille. C’est elle qui, absorbant patiemment tous les dons et les épreuves du corps et de l’esprit, est l’authentique fruit conservant intact ce qui fait l’unicité de chacun. Sur le plan concret, l’esprit fait appel au cerveau, l’âme opère à partir du cœur. L’esprit s’appréhende par l’intellect, l’âme se saisit par l’intuition.
  • « L’esprit se meut, l’âme  ’émeut : l’esprit raisonne, l’âme résonne ».   (Article « Ame », in revue Europe, n°1000, 2012.)

 

TROISIEME MEDITATION :

  • Penser la mort, c’est penser la vie.
  • La conscience de la mort fait naître en nous l’idée du sacré de la Vie, confère à celle-ci toute sa valeur.Sur les chemins de l’existence, nous nous heurtons à deux mystères fondamentaux, celui de la beauté et celui du mal.
  • Pourquoi la beauté a-t-elle à voir avec la mort ? D’abord, parce que, à l’instar de toute chose, elle ne peut durer, elle nous échappe. Et comme c’est à elle qu’on s’attache plus qu’à tout dans la vie, plus l’attachement est profond, plus poignant est l’arrachement.
  • Attachement, arrachement, voilà la condition de la beauté, elle aiguise notre conscience de la mort.
  • « Les morts sont les invisibles, mais ne sont pas les absents.» (V. Hugo)
  •  Tendons l’oreille : combinant vide et plein, alternant retrait et élan, un chant ininterrompu sourd de la terre, rejoint la grande rythmique du courant éternel qui meut les astres.
  • Le rythme diffère de la cadence qui est une répétition du même, il est l’interaction des souffles vitaux dans toute sa complexité : avancée et reprise, reprise et nouvelle avancée, entrechoquement syncopé entrecroisements harmonieux, , mouvement en spiral changeant de registre et de dimension, entraînant transformation et transfiguration, où la mort a pour effet, pour reprendre l’expression de Claudel, dans le « Soulier de Satin », « la délivrance des âmes captives. »
  • Malheureusement, quelque chose en l’être empêche la musique. A cette faille essentielle les hommes ont donné un nom : le Mal. « Tu ne tueras pas » est un commandement implicite, valables dans toutes les cultures.
  •  Lorsque j’ai entendu « Il est interdit d’interdire », j’ai pris peur. Bien sûre, il faut lutter contre tous les interdits oppressifs et injustes. De là à faire table rase de toute limite, il y a une marge, celle-là même qui sépare la civilisation de la barbarie. Car c’est la loi de la vie qui libère, et non le n’importe quoi.
  • Confondre la vrai liberté, garante de la dignité humaine, avec un laisser-aller qui serait régi par le seul principe de plaisir, relève d’une méprise mortifère. Une telle volonté de dissoudre toute notion de limite procédait d’une volonté de désacralisation généralisée.
  • Un monde sans sacré est un monde de chaos. C’est pourquoi il convient de réaffirmer le sacré fondamental, celui de la vie. Et, du même coup, il convient de réaffirmer qu’est sacrée aussi la mort de chacun. Nous avons failli oublier ce que les spécialistes de la préhistoire nous ont enseigné, à savoir que l’attention portée au devenir de chaque mort caractérise les débuts de l’hominisation.
  • La mort n’a plus rien d’humain, lorsqu’elle est le fait d’une usine qui produit des milliers de cadavres par jour, tous les jours, pendant des mois, et des années, dans une terreur sans échappatoire.
  • Cette mort,un de nos biens les plus précieux, est morte à Auschwitz.

 

QUATRIEME MEDIATION :

  • La mort n’étant que la cessation d’un certain état de vie, elle n’existerait pas si n’existait la vie. La perspective d’une survie de l’âme est-elle concevable ? Au moment de la mort d’une personne, son âme se libère de son corps et lui survit.
  • Cette idée demeure ferme dans toutes les religions, et vivace dans de nombreuses cultures encore.
  • Voyons maintenant le cas de la Chine.
  • Vers le IVème siècle avant notre ère, la notion d’âme connait une formulation plus précise. Vers le IVème siècle avant notre ère, la notion d’âme connaît une formulation plus précise. Elle est composée de deux parties complémentaires :
  • Hun, l’ âme claire, ou raisonnable »,
  • et Po, l’âme sombre ou sensitive » ;
  • à la mort d’une personne, son âme claire gagne le Ciel et son âme sombre rejoint la Terre. Cette vision reste en gros celle du Taoïsme. Par la suite, le Bouddhisme introduira l’idée de la  réincarnation.
  • En Occident, bien marqué par le platonisme et toute la tradition judéo-chrétienne, la notion d’immortalité de l’âme est largement répandue et acceptée au moins jusqu’au milieu du XVIIIème siècle.

« Si la vie est éphémère,

le fait d’avoir vécu une vie éphémère

est un fait éternel. »

(Jankélévitch)

Tout humain qui meurt reste tout de même un mystère : d’où venons-nous, qui sommes-nous, où allons-nous ?

  • Nous venons de l’univers, l’univers est bien tranquillement là, bien formidablement là, quoiqu‘il nous arrive individuellement. Pour le reste, Dieu seul sait ce qu’il en est…
  • Dieu ? Ah, voici que le mot est lâché… Nous avons besoin de nommer Dieu, parce que nous nous situons résolument dans l’ordre de la vie et que nous méditons sur notre condition limite, la mort. Nous avons besoin de dialoguer avec lui, de l’interroger sur les possibles issues.
  • Est-ce trop prétentieux de nous poser en interlocuteurs de Dieu, en supposant même qu’il nous a peut-être créés pour cela ? Oui, il n’y a qu’une seule aventure, et qi chacun de nous n’a qu’une seule vie, toute la Vie est une. Avoir été est un fait éternel, parce que cela fait partie de la sublime promesse :

« Je serai qui Je serai. »

 

CINQUIEME MEDITATION :

 

La mort n’est point notre issue,

Car plus grand que nous

Est notre désir, lequel rejoint

Celui du Commencement,

Désir de Vie.

La mort n’est point notre issue,

Mais elle rend unique tout d’ici :

Ces rosées qui ouvrent les fleurs du jour, Ce coup de soleil qui sublime le paysage,

Cette fulgurance d’un regard croisé,

Et la flamboyance d’un automne tardif,

Ce parfum qui assaille, et qui passe, insaisi,

Ces murmures qui ressuscitent les mots natifs,

Ces heures irradiées de vivats, d’alléluias,

Ces heures envahies de silence, d’absence,

Cette soif qui jamais ne sera étanchée ;

Et la faim qui n’a pour terme que l’infini…

Fidèle compagne, la mort nous contraint

A creuser sans cesse en nous

Pour y loger songe et mémoire,

A toujours creuser en nous

Le tunnel qui mène à l’air libre.

Elle n’est point notre issue.

Posant la limite,

Elle nous signifie l’extrême

Exigence de Vie,

Celle qui donne, élève,

Déborde et dépasse.

Puisque tout ce qui est de vie

Se relie,

Nous nous soumettrons

A la marée qui emporte la lune,

A la lune qui ramène la marée,

Aux disparus sans qui nous ne serions pas,

Aux survivants sans qui nous ne serions pas,

Aux sourds appels qui diminuent,

Aux cris muets qui continuent,

Aux regards pétrifiés par les frayeurs

Au bout desquels un chant d’enfant revient,

A ce qui revient et ne s’en va plus,

A ce qui revient et se fond dans le noir,

A chaque étiole perdue dans la nuit,

A chaque larme séchée dans la nuit,

A chaque nuit d’une vie,

A chaque minute

D’une unique nuit

Où se réunit

Tout ce qui se relie

A la vie privée d’oubli,

A la mort abolie.

Ne laisse en ce lieu, passant,

Ni les trésors de ton corps

Ni les dons de ton esprit

Mais quelques traces de pas

Afin qu’un jour le grand vent

A ton rythme s’initie

A ton silence, à ton cri,

Et fixe enfin ton chemin