disponibilité dans la pensée chinosie, François JULLIEN

Disponibilité de la pensée chinoisefrancois

François JULLIEN

  • FRONTALITÉ/OBLIQUITÉ : La stratégie, en Grèce, dans la pensée, se base de façon frontale, l’affrontement, tant de façon militaire, que dans la vie de la Cité. Si un discours met en valeur une idée, deux discours opposés pour en éprouver la vérité.
  • Thèse- antithèse, les fondements de la démocratie, un camp contre un autre.

sun_tzu_schoea21-7ee62Pour la Chine, Sun Tzu ou Sun Zi ou Souen Tseu ,un général chinois du VIe siècle av. J.-C. (544–496 av. J.-C.), résume la stratégie de la façon suivante :

 « La rencontre s’opère de face, mais la victoire s’opère de biais »

C’est-à-dire, avoir prise sur l’autre, sans donner prise à l’autre.

 « Faire du bruit à l’Est pour attaquer à l’Ouest »

  •  le sens suggéré du discours est plus important que le sens déployé.
  • En Chine, on privilégie l’obliquité, l’indirect, le silence, le non-dit l’implicite, tout ce qui peu dérouter, surprendre. Dans le discours, garder une réserve de potentiel, ne pas tout dire peut inquiéter l’autre, l’empêcher de réfuter, le décontenance.

 

  •  PHILOSOPHIE OCCIDENTALE /SAGESSE CHINOISE :Philosopher, c’est prendre position : erreur contre vérité.
  •  La pensée chinoise veut éviter la partialité, or, prendre position c’est être partial.
  • La sagesse, c’est garder les possibles ouverts, avoir une approche globale. Une égale ouverture entre excès et défaut, des extrêmes, ne rien perdre de l’amplitude de la réalité.
  • La sagesse n’est pas une pensée « faible » qui s’oppose à la pensée philosophique, en tant que pensée rigoureuse.
  • Ne pas prendre position c’est être disponible, ouvert à l’opportunité du moment. Évoluer au gré, ne pas se braquer, ni quitter ni coller, sans m’inféoder ni me priver, le Sage évolue dans le chaos, comme le poisson évolue dans l’eau.

PHILOSOPHIE /SAGESSE : En amont de la philosophie, il y a la sagesse. La philosophie a décollé à partir de là, prise par un questionnement sur le Savoir et la Vérité, lié à la connaissance.

  •  Platon traduit « Sophia » par sagesse et par science, on arrive à la quête du Savoir, désintéressé, en amont de la philosophie, l’infra-philosophique. Il y a un lien puissant entre la philosophie et les mathématiques, ce qui n’est pas le cas en Chine. Comme une ombre portée par les mathématiques sur la pensée philosophique. Montaigne est un cas à part, proche de la Sagesse :

« Je n’ai rien fait d’aujourd’hui ! -N’avez-vous pas vécu ? »

  • La notion « philosophie » en Chine et au Japon a du sens, mais, c’est une notion adaptée et empruntée, de l’Occident. L’ordonnancement par débat est peu pratiqué en Chine, il y a méfiance, les penseurs préfèrent développer  la Sagesse de Vivre : « Nourrir la Vie », l’essentiel. Platon « nourrir l’âme, nourrir le corps ».

 LA SINOLOGIE ET LES PRÉCURSEURS : Le début de la Sinologie, remonte au XVIIème siècle lors des missions, et la découverte qu’un autre monde s’est développé en dehors des valeurs européennes. Découverte d’un autre monde de pensée que le leur, ils ne sont plus uniques. 1814, au Collège de France, début de l’enseignement de la Sinologie. L’érudition est la base nécessaire, associé au questionnement, cela formera le Savoir. La pensée chinoise est une pensée de la Variation :

 «Le grand carré n’a pas d’angle

 Le grand œuvre évite d’advenir

 La grande sonorité n’a qu’un son réduit

La grande image n’a pas de forme »

 Lao Tse

LA GRANDE IMAGE N’A PAS DE FORME : Grand signifie ici, qui n’exclue pas, l’image ne se contraint à aucune forme, elle passe par une forme mais ne s’y enlise pas, l’image est disponible, comme le Sage est disponible. Le verbe être ne se développe pas en Chine, dans le sens exister, ce qui empêche l’ontologie, la pensée de l’Etre, cet écart permet d’interroger l’ontologie, par le biais chinois. « Qu’est-ce que c’est ? » interrogation sur « l’essence de », est une question que ne posent pas les Chinois. La peinture chinoise utilise la « semblance », sembler sans ressembler, c’est-à-dire, je ne me prive pas de la ressemblance, mais je ne m’enlise pas en elle. Rester disponible.

LE TEMPS DANS LA PENSÉE CHINOISE Le concept de temps n’existe pas dans la pensée chinoise. Aristote définit le temps comme le trajet entre un début et une fin, une entrée physique. La Chine ne pense pas en terme de mouvements mais pense la nature en terme de facteur, de corrélation, yin/yang. Autre entrée européenne du Temps : entrée métaphysique, le temps opposé à l’éternité, le devenir qui s’oppose à ce qui est. La conjugaison sera la troisième entrée du Temps, liaison du verbal et du temporel. Le Chinois ne conjugue pas, n’utilise pas de morphologie structurante du temporel.

Logo-4-saisonsLes Chinois utilisent les saisons et la durée. Etre Sage c’est être de Saison, c’est-à-dire au bon moment, à propos. En accompagnant les processus, ça se fait tout seul, d’où l’importance d’être en phase : le non-agir est tout sauf passivité, renoncement, mais laisser la nature faire, l’immanence se déployer, sans intervenir mais en laissant advenir. Laisser pousser ce qui est appelé à pousser :

« aider ce qui vient tout seul. »

LAO TSEU

 Ils ne pensent pas le temps comme une identité abstraite, détachée des processus. La pensée européenne possède une pensée mythologique du temps, d’avant la pensée philosophique.