Les Filles et leurs Mères, Aldo NAOURI, 2000

38454_aldo-naouri_440x260LES FILLES ET LEURS MERES

Aldo NAOURI, Odile Jacob, 2000

La mère est pour son enfant, que ce soit une fille ou un garçon, son premier objet d’amour, c’est elle qui pendant sa gestation qui engramme dans le cerveau en développement, un alphabet sensoriel qui porte son estampille.

  • La mère est un ACQUIS, alors que le père, en opposition ne sera qu’un DU. Cet amour maternel restera le modèle originel, pour le garçon, il sera hétérosexuel, pour la fille, il sera homosexuel.
  •  La rencontre amoureuse, d’un homme avec une femme, se fera sous le signe des RETROUVAILLES (par rapport au premier objet d’amour).
  •  La rencontre amoureuse entre une femme et un homme, sera sous le signe de la DECOUVERTE. Quel que soit le rang d’une femme dans les rencontres, pour un homme, elle sera toujours la seconde, alors, que pour une femme, sa découverte d’un homme, il sera toujours le premier.
  • Pour un bébé, le rapport au père, quel que soit son sexe, sera de l’ordre de la haine, ou du solide ressentiment, puisqu’il est, le père, une machine à dire NON, à frustrer.
  • Il est naturel qu’il vienne s’y greffer un désir de mort. Ce qui explique la culpabilité que la mort du père mobilise, pour un garçon ou une fille, comme l’expérience la plus pénible à vivre. « Tuer le père », appartient au langage psychanalytique freudien.
  • Freud a émis l’hypothèse que le passage des humanoïdes aux humains s’est fait autour d’un meurtre, celui du père.
  •  Des fils, brimés par l’interdiction paternelle de tout commerce sexuel avec des femelles réservées à son propre usage, se sont alliés pour tuer le père et le manger, pour sceller leur alliance.
  • Plus tard, les fils, pris de remords et craignant subir le même sort, ont mis en place la loi interdisant l’inceste, fondement des échanges humains. Donc, chaque fils doit intérioriser la loi de l’espèce.
  • Chaque enfant doit sa survie aux soins assidus de sa mère, il est à même de tirer les conséquences de l’éventuelle et menaçante suspension de ces soins : la mère a le pouvoir de donner la VIE ou la MORT. Tous les enfants, sans exception, sont, dès leur conception, par définition, désirés.

Le VOULOIR est de l’ordre de la conscience,

et le DÉSIR de l’ordre de l’inconscient.

  • Il arrive souvent que ces deux instances ne soient pas d’accord. Il se vérifie que c’est toujours l’inconscient qui mène le jeu. Or, l’inconscient n’est pas toujours au service des forces de la Vie, les forces de Mort, y sont présentes au même titre.
  • Le problème est qu’on ne sait et qu’on ne peut pas toujours savoir, ou en décider. L’inconscient n’a aucune difficulté à se jouer de la volonté, il est à même de produire aussi bien des symptômes que des grossesses, ou encore des actes manqués.
  • Les regards de la mère ne sont pas anodins dans leurs effets. Les effets de l’échange ne sont pas les mêmes quand la mère regarde sa fille et lui laisse puiser dans ce regard tout ce dont elle a besoin, et quand c’est elle qui se regarde dans sa fille et se noie, à en perdre conscience, dans la lumière de ses yeux.
  • Le regard de la mère procède à la mise en place du narcissisme dit d’étayage, parce qu’il aide l’enfant à suffisamment s’aimer à son tour.
  • C’est toujours un regard qui confère à l’humain, à sa venue au monde, son identité sexuelle.
George Condo « Large female portrait : FIAC, Paris 2015 (© photographie F.Buffard 23 10 15)
George Condo « Large female portrait : FIAC, Paris 2015 (© photographie F.Buffard 23 10 15)
  • Le regard compensateur d’une mère envers sa fille survalorisée, pourra faire d’elle une femme « phallique », fille-instrument de la puissance de sa mère, conditionnée à ne rien attendre des autres, et saturée par la satisfaction que lui a apportée sa relation exclusive à cette mère, elle ne fera en elle aucune place au doute, ou à la saine torture de ce manque qui fait percevoir, à chacun de nous, qu’il est en train de vivre.
  • Elle deviendra hautaine, sèche, péremptoire, cassante et insensible à ce qui peut se passer hors de son étroit champ d’intérêt. Si rien, dans son aventure d’enfant, ne vient la détromper, corriger son appréciation ou infléchir son parcours, elle fera partie du lot de ces femmes glaciales au narcissisme ravageur et dont il est ordinairement convenu qu’elles sont dominatrices, frustrantes, égotistes, castratrices, et mortifères.
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  • Quand en revanche, le regard maternel ne se fait pas source insistante de compensation, les problèmes ne sont pas moindres que dans le cas précédents.
  • La fillette en attente de la lueur qui devrait y circuler et lui donner une idée de son existence, sinon de son statut, ne peut pas s’en passer. Ainsi le quêtera-t-elle en vain, longtemps, avec dépit et frustration.
  • Difficile de se différencier de sa mère, mais quand, si elle prend conscience de la chance qu’est la sienne, dans sa position, alors, elle comprendra que sa vie est dans le don, qu’elle évolue dans l’histoire, qu’elle gère son devenir, elle conquière sa liberté, elle occupe pleinement sa vie.
  • Tout bénéfice pour son environnement et ses enfants. C’est entre ces deux figures extrêmes que se situent les innombrables nuances affectant les femmes, filles et mères. De fille visée par l’injonction de répétition, il y en a toujours une.
  • Celle-là est choisie par la mère en fonction de divers paramètres : son histoire à elle, son angoisse de mort, son fantasme d’immortalité.
  • Les autres filles ne sont pas pour autant tenues à l’écart du désir de leur mère, sans quoi elles ne seraient pas venues au monde.
  • Ce choix de la « femme-injonction » masque le peu de confiance que la mère fait face à l’autonomie de son élue, craignant autant sa disparition physique que la mise en échec de la demande qu’elle lui a adressée. Tout cela serait tellement plus simple si on pouvait y mettre un peu de langage, ne pas laisser le silence s’installer et tout ruiner. S’il pouvait y avoir entre les filles et leur mère une indispensable distance qui les préserveraient les unes des autres, les unes et les autres, de la confusion et du malheur, cela pourrait encore être préservé.
  • Qu’est-ce qui FAIT un père ?
  • On ne peut pas mieux définir un père qu’en le reconnaissant comme celui dont la mère des enfants est amoureuse, sans cesse. Parce qu’une fille a pu repérer l’importance pour elle du père, qu’elle pourra, en devenant mère, concevoir l’importance de celui qu’elle veut offrir à ses enfants, et qu’elle s’évertuera à construire, à fabriquer, à mettre en place, en artisan consciencieux.
  • En se liant à lui, en s’aliénant à lui par des liens directs, au sein desquels la relation sexuelle occupe le tout premier plan.
  • La FONCTION du père est de parvenir, avec le consentement de la mère au préalable, indispensable, à séparer sa femme, la mère de ses enfants, de sa propre mère,  c’est-à-dire de la grand-mère maternelle de ses enfants.
  • imagesC’est pour avoir perçu l’importance que son père avait pour sa mère, qu’une fille saura donner sa place au père des siens, tout comme un garçon saura occuper la place qui lui échoit et tenir une parole tranquille et consistante face à la mère de ses enfants.
  • La PLACE du père c’est donc d’une disposition maternelle qu’elle dépend et qu’elle découle… autrement dit une histoire de femmes.
  • La toute puissance maternelle échoit à la mère, qu’elle le veuille ou non, issue de la relation biologique, ce qui explique que le père y soit toujours et totalement ETRANGER.
  • Quant à l’enfant, il ne peut s’y soustraire à cette toute puissance, et éprouve fascination et effroi. Lorsque l’enfant percevra, dans son entourage proche, l’existence d’un individu qui peut se substituer à la mère mais qui ne semble pas impressionné ou menacé par sa toute puissance : le PERE.
Man covering his face with hand
Man covering his face with hand
  • Pour l’enfant, l’embryon de la fonction paternelle se constitue comme une forme  d’interposition à la fois adjuvante et effrayante qui peut soit prospérer soit avorter et soumettre l’enfant aux affres de la carence.
  •  Pour que la mère puisse traduire et désigner la place du père à son enfant, il faut qu’elle ait pu la repérer, elle-même, dans sa propre histoire. Cela échappe à tout contrôle et qui se traduit par des histoires de femmes.
  • Dans la RELATION AMOUREUSE,  il suffit à une femme de trouver un homme qui lui rappelle plus ou moins sa mère et de dupliquer sur lui la violence de l’amour qu’elle a jadis entretenu, et auquel, grâce à l’investissement opéré par son père, elle a pu renoncer.
  • Ce sera une DECOUVERTE  et elle obtiendra de lui ce qu’elle a toujours eu envie d’avoir et qui lui permet en fin d’asseoir, sans confusion, son identité.  il suffit à un homme de trouver une femme qui lui rappelle plus ou moins sa mère et de dupliquer sur elle la violence de l’amour qu’il a jadis entretenu, et auquel, grâce à l’investissement opéré par son père, il a pu renoncer.
  • Il rencontrera son corps dans une dimension de RETROUVAILLE et il pourra lui donner, parce qu’elle lui est permise, cet organe qui assoit son identité, et qui l’a plus ou moins encombré, mais qu’il a toujours eu peur de perdre,  le sachant comme ce qui l’a toujours maintenu à distance de la confusion.
  •  L’élément fragile du couple, c’est le père, car il ne peut jamais, à lui tout seul, faire le poids face à la nature animale du lien mère-enfant.
  • Toutes les femmes ont réussi par leur lutte à faire valoir leurs droits à une sexualité et au plaisir, il importerait qu’elles se fassent reconnaître, aujourd’hui,  le droit de briser les chromos et de s’autoriser à ressentir et donc à assumer sans remords,  la violence qu’elles ont développée et entretenue, à l’endroit de leur mère.
  • Cela leur permettrait de ne plus être indéfiniment tenues en sujétion et de n’avoir plus à régler leurs problèmes par DEPLACEMENT.
  •  Rien ne peut être plus salutaire pour leur couple et pour leurs descendances. Le DEPLACEMENT est la recherche vaine effectuée pour résoudre, à la lueur de nos conditions présentes, des événements passés :
  • « Un homme penché vers le sol, à la lumière d’un réverbère, semble chercher fébrilement quelque chose. Un passant sort de la nuit, s’approche de lui et lui demande ce qu’il cherche ainsi : « ma montre, elle s’est détachée de mon poignet et je l’ai entendue tomber. »  répond-il. Les deux hommes s’affairent à nouveau, ensemble, jusqu’à ce que le passant brise le silence : « Vous ne vous souvenez pas de l’endroit où vos étiez lorsque vous l’avez entendue tomber ? » « Oui, bien sûr, là-bas ! »rétorque notre homme en montrant du doigt un vague endroit au loin, dans la profondeur de la nuit. « Mais si c’était là-bas » s’étonne le passant « pourquoi la cherchez-vous ici ? » « Parce que là-bas, il fait nuit et qu’il n’y a pas de lumière ! » lui répond notre homme…
  •  Nous sommes tous logés à la même enseigne.
  • Nous procédons à des déplacements dans le temps en cherchant en vain à résoudre, à la lueur de nos conditions présentes,  les occasions que nous avons perdu dans un passé obscur, plus ou moins lointain.
  • Nous procédons à des déplacements dans l’espace en agissant avec certaines personnes comme on aurait bien voulu le faire-mais comme on n’a pas pu ou comme on ne peut toujours pas le faire-avec d’autres.  La combinaison de l’espace et du temps, voire leur confusion, étant elle-même bien entendu possible.  Cela ne revient toujours, et en toutes circonstances,  qu’à une question d’obscurité et de lumière.
  • Autre illustration encore de proximité extrême des forces de vie et de mort, ainsi que de l’inévitable parasitage des premières par les secondes.
  • Le PÈRE, Élément régulateur, a été et sera toujours INDISPENSABLE, plus à ses filles qu’à ses fils.